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L'if millénaire d'Offranville

M. Gadeau de Kerville, l’illustre botaniste qui étudia 113 des arbres remarquables de la Normandie de 1890 à 1932, réserva à l’if d’Offranville une étude particulière à la suite d’une visite qu’il en fit le 25 mars 1892. Il pensait alors que les ifs communs de Normandie (taxus boccata L) ne sont pas indigènes, mais il remarquait que leur importation devait remonter à une époque très reculée puisqu’ils existaient en abondance lors de la conquête de la Gaule par Jules César.

En 1931, après quarante années de recherches sur ce sujet, il conclut que, contrairement à ce qu’il pensait en 1892, l’if normand est bien un arbre de chez nous, qu’il est de l’espèce « diaïque », c’est-à-dire possédant des mâles et des femelles ; celui d’Offranville étant de cette dernière catégorie, ainsi qu’en témoignent ses petits fruits rouges lorsqu’ils arrivent à maturité.

S’il en existe, en notre province, un certain nombre d’exemplaires sauvages, celui d’Offranville, de forme typique, fut planté par la main de l’homme. Nos aïeux plantaient… et cet if, à leurs yeux, placé dans le cimetière, avait, croyaient-ils, la propriété « d’absorber les miasmes nocifs s’exhalant de la décomposition des cadavres ».

Les « anciens » ont dit que la justice se rendait à l’ombre de ses branches et que le bénéficiaire du procès se voyait remettre par le juge une branchette de l’arbre, preuve du bien-fondé de sa demande.

Arbre de justice ou non, l’if d’Offranville était estimé millénaire en 1892, et cet âge n’était pas indiqué au hasard. Il avait alors, à un mètre du sol, une circonférence de 6,45 mètres. M. Gadeau de Kerville, fort des études qu’il avait faites et de la science qu’il avait acquise en botanique, savait qu’à partir d’un certain âge, l’if grossit de 2,25 millimètres par an. Après un savant calcul dont la recette ne nous est pas parvenue, il déduisit que l’arbre avait alors 1 008 années d’existence. Mais pour éviter toute erreur et tenir compte de certains aléas naturels, il conclut : « Je crois pouvoir admettre que son âge actuel (1892) est d’environ 900 à 1 100 ans… ».

Il a dû s’en passer des choses à l’ombre de ses branchages en 1 000 ans ! Il a admiré, impassible, la construction de l’église ; il fut témoin de mille fêtes, d’autant d’enterrements, il le fut aussi des luttes fratricides des Guerres de Religions ; il vit peut-être défiler les troupes dévastatrices de Charles-le-Téméraire, et quoi encore ?... mais peu de souvenirs sont parvenus jusqu’à nous.

Le 12 mars 1876, un ouragan l’endommagea sérieusement dans son coupeau ; en 1894, la foudre s’abattit sur ce moignon et le détruisit partiellement ; il fut élagué et recouvert d’une plaque de zinc.

La plus rude épreuve qu’il devait connaître, il la subit au crépuscule et dans la nuit du 4 décembre 1914. Ce soir-là, à la sortie du catéchisme, trois enfants eurent l’idée malheureuse de vouloir jouer à la messe à l’intérieur du tronc de l’arbre. Ils allumèrent des bouts de cierges chapardés dans la sacristie et, à leur grand effroi, ils virent les nombreuses radicelles de l’arbre s’enflammer… Ils déguerpirent sans en aviser quiconque.

Le cafetier-bourrelier, qui tenait commerce à l’emplacement de l’actuelle Maison de la Presse, voyant la fumée sortir de l’arbre, fit sonner le tocsin. Les pompiers arrivèrent rapidement, mirent la pompe à bras en batterie, la branchèrent sur la citerne du presbytère (l’eau sous pression n’existait pas) et conjurèrent le feu. Hélas, par trois fois, celui-ci se ranima à 21 heures, puis à 3 heures, puis enfin à 7 heures ; nos braves pompiers durent intervenir à nouveau.

Alerté, un officier de l’armée anglaise, cantonné à Hautôt-sur-Mer, botaniste dans le civil, conseilla de bourrer l’intérieur de l’if de bonne terre végétale pour éviter que l’arbre ne meure. Ce qui fut fait. Quelques années plus tard, dans la crainte de voir cette terre pourrir l’ensemble de l’arbre, il en fut totalement dégagé.

Ces soins sauvèrent-il l’if ? Nul ne peut l’affirmer ; en tout cas, il est là, toujours là et bien vivant, quoique certaines branches supérieures soient mortes et que le poids de certaines autres tendent à l’écarteler. La municipalité a d’ailleurs pris, en son temps, des dispositions de cerclage du tronc qui doivent le mettre à l’abri de tout accident de cette nature.

En 1994, Philippe Raymond, responsable de la multiplication et des collections au Muséum d’histoire naturelle de Paris, était venu prélever sur notre if – qui est rappelons-le une femelle – un lot de branches, un peu de terre et d’écorce du sol. En serre, les branches firent chacune une vingtaine de boutures ; certaines prirent racines et, au bout de neuf mois (oui !), on a replanté les petits ifs.

En remerciement, le Muséum d’histoire naturelle retourna trois bébés arbres à la municipalité d’Offranville, gardant les autres rejets à des fins scientifiques. C’est ainsi qu’en mai 2000, l’un d’eux a été solennellement mis en terre auprès de sa maman.

Le vieil if d’Offranville, tout comme 80 autres, est aujourd’hui labellisé par l’A.R.B.R.E.S. (Association des Arbres Remarquables, Bilan, Recherche, Étude et Sauvegarde). Le label est un contrat entre l’association et la commune, celle-ci s’engageant à continuer l’entretien du si vert millénaire, haut de 10 mètres et dont la circonférence, en l’an 2000, atteignait les 7,30 mètres.

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